En immersion : la vie au coeur d’un village de 39 habitants
21 jours du 11/01/2024 au 01/02/2024
L’équipe devant la maison de Fatmir
Nous voici donc arrivés en Albanie début janvier. Grand dépaysement après l’Italie ! Si les villes côtières sont en plein développement et paraissent très modernes, l’arrière-pays est resté authentique, ce qui fait son charme. On peut y croiser des paysans sur leurs ânes, des bergers avec leurs troupeaux, même sur de grands axes routiers, ainsi que d’innombrables petits cafés souvent fréquentés majoritairement par des hommes… Ce qui nous frappe très vite, c’est la gentillesse des Albanais ! Ils nous adressent de grands sourires, nous font signe depuis les fenêtres des voitures, bref, ils nous font sentir que nous sommes les bienvenus chez eux. On se sent vite à l’aise à pédaler dans ce pays.
En route pour Zhulat !
Zhulat est un village du district de Gjirokastër, on y accède au moyen d’une unique route, ou plutôt d’une piste qui commence par traverser la rivière. Nous poussons les vélos pour passer cette rivière puis deux chiens commencent à nous aboyer dessus, puis nous suivront pendant beaucoup trop longtemps ! Le chemin pour accéder à Zhulat est magnifique, et nous le contemplons, fascinés. Nous croisons des troupeaux de chèvres et de moutons accompagnés de leur chien de berger peu commode. Les vaches, laissées en liberté, se plantent en face de nous, perplexes, ne sachant pas quel comportement adopter face à nos drôles d’engins roulants ! Craintives, elles sont plus à l’aise lorsque nous passons à pied à côté d’elles ! La dernière portion de route pour accéder au village monte dur ! Enfin, après près de deux heures à très petite vitesse, nous arrivons dans le village. C’est l’hiver, il fait froid ; on peut estimer le nombre d’habitants à Zhulat en regardant la fumée sortant des cheminées, c’est-à-dire pas beaucoup, une vingtaine de maisons habitées tout au plus ! Sur la seule place du village, nous passons à côté d’une immense sculpture de guerrier en bois, il faudra qu’on pose des questions à ce sujet !
Fatmir, l’Albanais de 30 ans qui nous accueille pour ce volontariat, vient à notre rencontre et commence par nous féliciter d’avoir atteint le village à vélo. Il faut dire que le dernier kilomètre était costaud, tout en montée !
Premières impressions : ça va être rude !
Fatmir nous présente la maison familiale, ancienne de neuf générations, qui n’est plus habitée à l’année depuis le décès de ses grands-parents. C’est une maison traditionnelle avec une pièce de vie au rez-de-chaussée, qui servait autrefois de bergerie. Il a récemment aménagé l’étage pour y faire deux chambres. À côté de cela, il y a une dépendance pour une cuisine d’été et un grand terrain avec énormément d’arbres fruitiers, mais comme nous y étions en hiver, tous les arbres se ressemblaient et nous n’avons eu qu’un petit aperçu. Fatmir souhaite transformer cette maison familiale en une guest house afin de promouvoir un tourisme responsable à Zhulat, premier pas vers la création d’un éco-village. Il veut permettre aux visiteurs de s’immerger dans un village typique des montagnes albanaises et donner une belle image de l’Albanie rurale.
La maison de Fatmir
Après des semaines d’itinérance à vélo, nous avions hâte de pouvoir compter sur un logement en dur et une douche chaude… Bon, Fatmir nous annonce que le chauffe-eau ne fonctionne pas et qu’il va falloir faire autrement. Quant aux chambres, elles ne sont pas chauffées, il doit y faire environ 0 degré (voire moins certaines nuits) ! Mais comme toujours, on va s’adapter ! En soirée, nous rencontrons Caroline et Adam, un couple d’Allemands du même âge que nous, qui participent également à ces 3 semaines de volontariat. Le courant passe bien ! Eux aussi ont tout quitté pour voyager, mais ils le font avec leur Land Rover Defender, un vieux 4×4 super bien aménagé.
La soirée qui suit est très sympa. Évidemment, on commence par trinquer en buvant un raki, l’eau-de-vie de raisin que les Albanais boivent parfois parfois quotidiennement avec leur café !
Pour trinquer en Albanie, on dit « Gazouar » ! Puis on mange le plat cuisiné par la maman de Fatmir et on discute des jours à venir. Fatmir nous apprend qu’il va être papa en février et qu’il est assez stressé en ce moment, entre ça, la maison à rénover, son travail de guide touristique… La météo annonce des jours pluvieux, et le lendemain, nous commençons par une journée de repos (on n’est pas contre après ces journées fatigantes à vélo…). Fatmir nous dit qu’il ne sait pas cuisiner et qu’il compte sur nous pour faire du pain avec le four à bois en terre cuite qu’il a fabriqué… S’en suivent des regards gênés, personne n’ose parler, puis nous avouons à demi-mot que nous n’avons jamais fait de pain ! « Quoi ! » s’exclame l’intéressé, d’un ton où l’on devine sa déception : « Les précédents volontaires savaient, eux ! » On s’empresse de le rassurer : « Mais ne t’inquiète pas, on apprend vite ! » Nous nous empressons d’ailleurs de préparer notre premier bocal de levain pour lui prouver notre motivation (mais ce sera un cuisant échec) !
Fatmir, le maître des lieux
Fatmir l’infatigable bosseur (il est 22h)
Notre chambre, température comprise entre -1°C et 5°C !
Voici notre douche, attention aux coups de châtaigne
Notre quotidien en volontariat
Objectif du projet
Les deux premiers jours à Zhulat étant pluvieux, nous travaillons peu. Nous faisons connaissance, apprenons à cuisiner avec les moyens du bord, et essayons de faire du feu avec le bois mouillé, le seul à disposition ! Adam, l’ingénieur en mécanique, répare le chauffe-eau, mais ensuite, c’est la pression de la douche qui fait défaut… Nous utiliserons ensuite pour nous laver une ancienne machine à laver, sorte de grosse bouilloire rotative, pour chauffer notre eau. Niveau sécurité, c’est zéro (voir photos) : nous avons pris quelques “châtaignes” bien juteuses en oubliant de la débrancher au moment de prendre notre douche, mais au moins, nous avions de l’eau chaude !
Par la suite, nos missions consistaient en quelques travaux simples de construction à l’aide de matériaux de récupération, de gros travaux de défrichage dans le jardin, ou bien de nettoyage d’un cours d’eau qui passe à côté du terrain… Et bien sûr, la cuisine, gérée en grande partie par Yvan, pour nourrir notre petite communauté de cinq personnes !
Voici un exemple de nos nouvelles compétences !
Construire un mur en pierres sèches
C’était ma mission (Julie) d’assister Fatmir dans la construction d’un mur en pierres sèches, le but final étant de contribuer à la création d’une salle de bain extérieure pour les futurs touristes. Bon, c’était un peu laborieux pour moi au début, étant donné mon manque d’expérience en travaux manuels, mais à la fin, tout le monde était d’accord pour dire que je m’étais améliorée ! (Pas compliqué en même temps, vu d’où je partais).
En quoi cela consiste ?
La définition est simple : un mur fait de grosses pierres, trouvées dans les environs, de formes inégales, encastrées les unes dans les autres et fixées grâce à du mortier (mélange de ciment et de sable). Mais la technique est plus compliquée ! D’abord, il faut respecter un certain alignement du mur pour éviter qu’il ne parte en zigzag ; une ficelle tendue entre les deux bouts montre l’alignement à respecter, que l’on vérifie régulièrement avec le niveau. Ensuite, c’est tout un art de trouver LA pierre parfaite qui s’encastre dans les autres et garantit un mur résistant. Il ne faut pas non plus oublier de combler les interstices avec de petites pierres pour bien stabiliser le tout. Nous allions chercher les grosses pierres dans les ruines d’à côté ou dans les fourrés, avec un bon renforcement musculaire en prime ! Plus le mur s’élève, plus cela devient compliqué. Au bout de trois ou quatre jours, et non sans mal, ça y est ! Notre bout de mur est prêt ! Fatmir termine en posant une couche de béton sur les dernières pierres. Maintenant, on attend que ça sèche pour la suite !
Quelques jours plus tard, le père de Fatmir, pompier professionnel et “machine de guerre” du bâtiment (comme beaucoup d’Albanais), viendra diriger la construction d’un toit au-dessus de notre nouveau pan de mur. Fatmir pensait que le toit serait construit en quelques jours, mais que nenni ! En une journée, ce fut plié ! Pas le temps de niaiser avec le papa, ça marche au pas, au rythme des pauses “rakis” toutes les heures !
Fatmir et moi en pleine action, enfin là surtout Fatmir mais je vous jure que moi aussi j’ai donné !
Fatmir et son père sur le toit que nous avons construit ensemble
Faire du pain au feu de bois et au levain
Lors de notre arrivée, nous ne maîtrisions absolument pas la fabrication du pain, ni le pétrissage, et encore moins la cuisson dans un four en terre cuite. Nous faisions également nos premiers pas avec la production de levain, dont le premier bocal fut, comme je l’ai déjà dit, un échec cuisant. Au cours des trois semaines passées au village, nous avons énormément appris, fait des erreurs, progressé, pour finalement, (et surtout Yvan) devenir vraiment bons dans ce style de boulangerie ! Avec le couple d’Allemands, nous nous permettions même de petites expérimentations : mélange de différentes farines, ajout de graines, avec ou sans levain… Les journées étaient tellement simples à Zhulat (et nous y avions pris goût) que chaque nouvelle fournée de pain chaud, un soir sur deux, était accueillie avec une joie qui, pour quelqu’un d’extérieur au contexte, aurait paru complètement démesurée ! On aurait dit qu’un enfant venait de naître ! Et nous, nous nous prenions soudain pour de grands experts en boulangerie, goûtant puis évaluant avec tous nos sens nos créations. Des plaisirs simples, je vous dis !
Dépolluer un cours d’eau
Accolé au terrain de la maison de Fatmir coule un cours d’eau de montagne, une eau pure mais malheureusement polluée par les innombrables quantités de déchets que les habitants sont venus y jeter, créant par endroits une superposition de détritus sur plusieurs mètres de hauteur ! Fatmir est dépité : cela est arrivé lorsque sa famille a progressivement quitté la maison, perdant le contrôle sur ce qui se passait aux abords de leur terrain. Il faut dire qu’à Zhulat, la collecte des déchets est loin d’être efficace, encore moins régulière ! Pour pallier ce manque, les habitants n’ont plus qu’à brûler leurs déchets. C’est probablement moins pire que de les jeter dans la nature, mais évidemment, ce n’est pas une solution pérenne. Alors nous voilà pendant quelques jours à dévier le cours d’eau pour y dégager le plus de déchets possibles, pataugeant dans une bouillasse peu ragoûtante, récupérant des sacs, des bidons, des aérosols, des morceaux de toiture en fibrociment d’amiante… Bref, ce n’est pas jojo ! Mais c’est pour la bonne cause ! Ce qui attriste Fatmir, c’est que, mis à part un employé du village qui se joint à nous (puisqu’il n’avait pas le choix), personne dans le village ne vient nous aider. Au contraire ! Ils nous regardent avec incompréhension quand ils voient cinq jeunes, dont quatre étrangers, patauger dans cette décharge. Fatmir nous explique que selon lui, c’est là un héritage du communisme : les Albanais en ont tellement bavé sous ce régime, à devoir travailler pour des biens qui n’appartenaient à personne et à abandonner leurs propres bien, qu’à la chute du régime, ils n’ont plus trop de considération pour l’entretien des espaces publics. Fatmir, via le maire du village, fera tout de même venir un camion-benne pour que nous y jetions toutes ces trouvailles… et il y en avait une sacrée quantité ! Le maire, Kapo, était super fier, nous avons même fait une photo tous ensemble devant le camion plein. Kapo a promis à Fatmir qu’il pourrait faire venir autant de camions-bennes que nécessaire si nous continuions à nettoyer le village ! Oui, mais les autres villageois, qu’en pensent-ils ? Comme dans beaucoup de pays en développement, les habitants, ayant souvent un mode de vie précaire, sont bien loin de se saisir des questions de protection de l’environnement. Mais plutôt que de les blâmer, il faut chercher à comprendre…
Armés de gants, c’est parti pour la chasse aux déchets !
Le Maire Kapo et toute l’équipe posant fièrement devant le camion rempli de déchets
La vie au village et dans les environs
Zhulat est un village de 39 habitants (et puis 38 quand nous sommes partis). Tout le monde se connaît plus ou moins, car il s’agit de familles toutes originaires du village. Fatmir a grandi ici jusqu’à ses 10 ans environ. Il nous raconte qu’à l’époque, il y avait beaucoup plus d’habitants, mais beaucoup de familles ont déserté pour vivre en ville et profiter de plus de services. Il faut dire qu’à Zhulat, les coupures d’électricité quasi quotidiennes privent tout le village d’énergie pour une durée indéterminée, allant de 30 minutes à une journée ! Les villageois se chauffent au bois, donc ce n’est pas dérangeant pour cela, mais ça l’est plus pour les chauffe-eau, la cuisinière électrique, internet… L’installation électrique est d’ailleurs souvent très artisanale ! Dans la maison familiale de Fatmir, il n’était pas rare de se prendre des coups de jus, par exemple, lorsqu’on laissait branché le chauffe-eau en prenant une douche ! Je peux vous dire qu’une fois que cela vous est arrivé, vous ne refaites plus la même erreur ! Les enfants des familles vivant au village ont souvent saisi la moindre opportunité pour partir travailler à l’étranger, synonyme de revenus bien plus importants. Zhulat s’est donc drastiquement dépeuplé, au grand désespoir des habitants restants. Fatmir est très attaché à son pays, à son histoire, et plus particulièrement à son village d’enfance. Il n’est pas tendre quand il évoque les nombreux jeunes partis travailler à l’étranger. Il leur reproche une irresponsabilité quant au futur du village et un manque de considération pour leurs proches restés au village, qui souffrent de leur absence.
Au cours de notre séjour là-bas, nous avons eu la chance de discuter avec plusieurs habitants, dont Kapo, le maire du village, qui doit avoir 80 ans minimum, sa femme, Murat, la quarantaine, artiste revenu vivre dans son village après de nombreuses années de travail en Grèce, ainsi que les voisins et voisines croisés ça et là dans le village, les habitués du seul café et micro-supérette du village…
Bref, une belle immersion ! Nous avons également profité de nos quelques jours de congé pour aller nous balader dans la magnifique montagne intacte qui entoure le village.
Des rencontres marquantes
Kapo, le maire du village
La première fois que ce petit homme a franchi le portail de la maison, d’un pas décidé avec sa canne, nous avons vite compris qu’il s’agissait de quelqu’un d’important, lorsque Fatmir s’est précipité à sa rencontre, lui a apporté une chaise, puis un café, avant de commencer à discuter avec lui, tout en nous demandant de nous lever pour le saluer. Très vite, nous avons trouvé Kapo, le maire de Zhulat, attachant. Il nous faisait penser à un gentil grand-père avec son éternel sourire. Nous nous comprenions à travers des gestes et quelques mots, et il finissait toujours nos échanges par plusieurs “bravo ! bravo !” pour nous féliciter. Notre première discussion fut un peu timide, notre connaissance de l’albanais étant limitée, mais une fois Kapo parti, Fatmir s’est empressé de nous donner une petite leçon : “Ici, il faut toujours parler aux vieux, sinon ils s’en vont et peuvent le prendre pour un manque de respect. L’Albanie, ce n’est pas un pays pour les introvertis ! Nous, on parle tout le temps et de tout !” Message reçu ! Les Albanais sont fiers de leurs ancêtres et connaissent leur histoire sur plusieurs générations. La parole des anciens est précieuse, et tout le monde les écoute avec attention.
Kapo voit d’un très bon œil les volontaires venus aider Fatmir. D’abord, parce qu’ils apportent un peu de fraîcheur au village, ce qui fait plaisir à tout le monde ! Mais aussi parce qu’ils contribuent au projet de futur éco-village à Zhulat, une démarche de tourisme responsable qui pourrait moderniser le village et lui redonner un semblant de dynamisme, avec des activités de nature, un restaurant, et pourquoi pas un véritable bar où les habitants pourraient se retrouver ! Tout cela, à condition que la piste menant au village devienne une route, c’est-à-dire qu’elle soit revêtue d’asphalte pour améliorer l’accessibilité. Une promesse toujours répétée par les autorités… mais jamais tenue.
Lors des derniers jours de notre séjour à Zhulat, Kapo est venu, comme souvent, nous rendre visite dans la matinée. Cette fois-ci, il y a eu un échange assez improbable :
Kapo demande à Fatmir de nous traduire quelque chose…
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Fatmir : “Kapo demande si vous accepteriez de rester vivre à Zhulat s’il vous fournit une maison, vous prête un terrain avec quatre moutons… Alors ?”
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Nous nous regardons avec Yvan, mi-amusés, mi-interloqués
“Heu… disons que nous avions prévu de voyager un peu plus loin…” -
Kapo, devinant notre réponse, parle à nouveau à Fatmir.
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Fatmir : “Il dit que si ça ne suffit pas, il ajoute un âne à l’offre !”
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Nous : “Ah bon ? Est-ce qu’on peut revenir dans quelques années ?”
- Fatmir et Kapo ensemble en rigolant : “Ah non ! C’est maintenant ou jamais, après quelqu’un d’autre acceptera à votre place !”
Nous avons apprécié cette proposition, Zhulat est un endroit qui nous a profondément marqués, mais nous avons trop envie de continuer notre aventure à vélo pour le moment… Qui sait ? Peut-être un jour.
Murat
Murat, la quarantaine, est originaire de Zhulat. Il a passé douze ans en Grèce, à Athènes pour étudier puis vivre de son métier d’artiste sculpteur et peintre. Il est revenu à Zhulat notamment pour prendre soin de son père gravement malade et de son jeune frère, atteint de déficience mentale. Il a repris les activités traditionnelles de son père : l’apiculture, l’élevage de chèvres, les cultures potagères… tout en poursuivant ses créations artistiques, comme cette majestueuse sculpture d’un ancien chef du village sur la place principale de Zhulat, qui fait la fierté des habitants. Murat est aujourd’hui bien plus épanoui dans cette vie simple et saine, loin de l’agitation de la capitale grecque. Toutefois, il nous confie que cela complique ses projets de fonder une famille, les femmes qu’il rencontre préférant rester en ville.
Murat nous a profondément touchés par sa générosité et son attachement à ses valeurs et à sa culture. Il nous a transmis sa sérénité. Il nous a fait sentir chez nous à Zhulat, nous invitant une soirée tous les cinq dans sa cabane de berger près de la rivière, où nous avons discuté de tout et de rien, mais surtout de la culture albanaise, de leurs liens avec leurs ancêtres, et de l’épanouissement qu’ils trouvent dans un mode de vie simple et choisi. Le lendemain, il nous a guidés sur les sentiers non balisés de la montagne, en nous racontant des histoires autour des ruines que nous croisions, marchant au rythme de ses chèvres. Vers la fin de notre séjour, un évènement tragique a bousculé cette routine , son père, malade depuis longtemps, est décédé. Sur les encouragements de Fatmir, nous avons assisté aux funérailles. Nous n’oublierons jamais les regards de Murat et de son frère au moment de leur transmettre nos condoléances en sortant du cimetière. Malgré la peine, Murat est venu nous voir pour notre dernière soirée chez Fatmir, apportant avec lui de nombreuses bonnes choses à manger, issues de sa propre production.
Nous savons que nous sommes les bienvenus chez lui à Zhulat, et nous pensons très sincèrement y retourner un jour. Certaines rencontres marquent plus que d’autres…
Ce que nous avons appris et découvert de la culture locale
L’expérience de la générosité albanaise
Il n’a pas fallu attendre notre séjour à Zhulat pour comprendre que les Albanais sont profondément généreux et bienveillants. Mais vivre dans ce village quelques semaines nous l’a définitivement confirmé. Un jour, alors que nous avions un congé, Yvan et moi décidons d’aller nous promener dans le village. Après seulement deux minutes de marche, Viona, une voisine, nous invite chez elle pour un café. Malgré une coupure d’électricité qui l’empêche d’utiliser sa gazinière , elle se donne beaucoup de mal pour nous préparer un café turc sur sa cuisinière à bois. Nous trinquerons avec nos cafés et un petit verre de raki, l’eau-de-vie locale, en essayant de discuter. Elle est heureuse de nous recevoir, même si sa fille étudie en ville et son fils est parti au Canada pour travailler, ce qui l’a profondément émue. En partant, elle nous offre des chocolats et deux œufs et nous invite à revenir quand nous voulons ! À peine quelques centaines de mètres plus loin, nous sommes de nouveau invités pour un café (accompagné, bien sûr, d’un raki) par un couple de personnes âgées. L’ambiance est un peu plus triste cette fois-ci, car la vieille dame a perdu son fils, dont le portrait trône au-dessus de la cheminée. Sa peine est infinie lorsqu’elle en parle, mais elle retrouve son sourire avant notre départ et nous offre un énorme collier de figues sèches.
Gazuar ! On trinque avec Viona, notre voisine à Zhulat
Les Albanais : un peuple conquis à plusieurs reprises, mais résistant et fier de sa culture
Fatmir et Murat sont très cultivés en ce qui concerne l’histoire ancienne et moderne des civilisations. Ils sont surtout fiers de leur pays et de son héritage historique. Ils semblent d’ailleurs mieux connaître l’histoire de France que nous ! Comme beaucoup d’Albanais, d’ailleurs. Le maire, Kapo, nous avait un jour demandé de discuter avec lui de Napoléon Bonaparte ! L’Albanie, ce petit pays, n’a pas été épargnée au cours de l’Histoire : conquis par les Grecs, puis par l’Empire ottoman, le pays s’est refermé sur lui-même durant la stricte période communiste qui ne s’est achevée qu’en 1991. Aujourd’hui, les Albanais commencent à relever la tête et à se consacrer à autre chose que la construction de leur foyer. Fatmir nous apprend que la maison que nous rénovons a été détruite à trois reprises dans son histoire récente, lors des différentes invasions. Nous avons aussi appris que l’albanais est l’une des langues les plus anciennes du monde (source : Euronews), et écouté les impressionnants chants polyphoniques albanais, faisant parti de la liste du patrimoine culturel immatériel de l’UNESCO. Désormais, l’Albanie s’ouvre à l’international. Des complexes touristiques modernes, mais souvent sans âme, apparaissent sur la côte et attirent de plus en plus de visiteurs. Fatmir est plutôt pessimiste à ce sujet, trouvant ce développement trop rapide et irréfléchi. Selon lui, il faut préserver l’authenticité et la richesse naturelle de l’Albanie. Heureusement, l’Albanie rurale a encore beaucoup à offrir !
Réflexions, apprentissages
Ensemble, durant de mois de janvier 2024 nous avons surmonté des moments difficiles : le froid, la difficulté à faire du feu à cause du bois mouillé, les douches rudimentaires, la fatigue intense après les journées de travail physique… Mais il n’y a jamais eu de moment où nous avons baissé les bras. Notre cohésion était notre force ! Cuisiner à l’ancienne, parfois seulement à la cuisinière à bois, avec peu de moyens, était un défi à chaque repas, mais étrangement, tout le monde a adoré redoubler de créativité en la matière ! Quand nous parlons de ce volontariat avec d’autres personnes, ils ont du mal à comprendre pourquoi nous sommes restés malgré ces conditions difficiles. La réponse est que cela en valait la peine, tout simplement ! Grâce à ce volontariat, nous nous sommes immergés à 100 % dans la culture rurale albanaise, nous avons beaucoup appris sur un pays que nous méconnaissions et qui souffre souvent de clichés réducteurs. Si c’était à refaire, nous le referions, c’est certain ! Fatmir nous avait d’ailleurs proposé de revenir à plus long terme pour nous occuper de la future guest-house, une proposition qui aurait pu nous plaire si nous avions souhaité nous installer, mais pour le moment, nous avons encore beaucoup à découvrir !